2 juil. 2010

Varanasi / Benares 2

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J'ai quitte Varanasi dans le magnifique wagon a air conditionne numero B1 du train 3005, place 14, lit du haut.
Wonderful. Une joie immense. Un moment tres attendu.
Car, petit detail, je devais monter dedans a 9h27 du matin mais ledit train ne s'est pointe qu'a 15 heures, ce qui m'a largement laisse le temps d'apprecier l'absence d'air conditionne dans la gare de Varanasi.

Ce qui donne une explication a un phenomene impressionant propre aux gares indiennes : elles sont blindees, de jour comme de nuit. Il y a tellement de gens par terre, assis, allonges en train de dormir, de manger, de donner le sein au petit dernier, etc. qu'on voit a peine le sol.
La raison est simple : tous les trains sont en retard d'un paquet de temps donc les gens n'ont pas d'autre choix que s'entasser jusqu'a l'arrivee de leur convoi beni.

La ou c'est tres drole, c'est que la SNCF Indienne fait - certainement malgre elle - appel aux techniques marketing les plus avancees. Illustration :
- 9h00 : "Le train blablabla circule avec un retard de 2 heures ; arrivee prevue a 11h30."
- 11h30 : "Le train blablabla circule maintenant avec un retard de 3h30 ; arrive prevue a 13h00."
- 13h00 : "Blablabla... retard de 4h30... arrivera a ..."
Et puis apres plus de messages, sauf pour signaler l'entree du train en gare, 6 heures apres l'heure prevue.

Et la ou c'est encore plus drole, c'est que personne ne moufte dans la gare. Faites le tiers de ca dans une gare francaise, c'est l'insurrection.
J'ai essaye de me contenir mais quand on a depasse les 4 heures de retard, a la 3eme annonce, ca a quand meme commence a m'attaquer un chouilla, je l'avoue.

Mais bon, en s'asseyant dans un coin - pas trop loin des haut-parleurs pour pouvoir suivre les annonces (je suis maintenant bilingue Hindi-Anglais en vocabulaire de trains) - ca donne plein de temps pour observer la vie indienne, la vraie.
Plein de temps pour dire et redire "Non, je ne te donnerai pas d'argent" aux enfants comme aux adultes qui mendient.
Et plein de temps aussi pour faire le constat que, la societe indienne, elle est quand meme super dure. Pas de place pour les faibles.
Explication.

A t+1 heure environ (il est donc a peu pres 10h30), un nieme petit garcon vient me tendre la main. Et je redis dans un melange de Nepali et ce que je crois etre de l'Hindi : "Niet, pas d'argent". Sauf que le petit pere a la main droite dans un bandage pas chouette, et surtout il est squelettique. Je pese mes mots.
Du coup, franchement mal au ventre de repondre "Non"... mais je suis restee sur ma ligne de conduite et je l'ai fait.
(Note philosophique : j'affirme que l'etre humain "commun" (donc moi) peut s'habituer a tout, accepter tout - ce qui est a la fois sa plus grande qualite et son plus gros defaut.)

Bref. Je dis "Non", le gamin passe son chemin, puis se retrouve quelques minutes plus tard, assis pas tres loin, en train d'enlever son bandage imbibe de betadine. C'est franchement pas joli, ca se voit de loin, il s'en rend bien compte et se met a pleurer un peu. Mais pas grand chose, genre 10 secondes. Parce que de toute facon pleurer ne changera rien et des larmes, il ne doit pas pouvoir en faire beaucoup, squelettique (et surement deshydrate) comme il est.
Et il a raison de se dire que pleurer ne changera rien, car effectivement personne ne bouge autour. Pas une personne, pas une, qui va lui demander qui il est et ce qu'il a.
Rappel pour la beaute de la scene : c'est un enfant qui doit avoir dans les 12-13 ans, et la gare est blindee de gens.

Alors je reflechis 1 minute sur le fait que j'ai des medocs dans mon sac (qui n'ont pas bouge depuis 10 mois ; ce serait peut-etre le moment de se rendre utile) versus le fait que je ne sois pas medecin, puis je me dis qu'hesiter ca veut dire qu'il faut y aller, alors j'ouvre mon sac et c'est parti pour une seance serum phy, betadine et compresses.

[Aparte pour Jannick, si tu me lis : cette main elle etait pire que le pied du petit a Gurje, c'est te dire.]

Pendant tout ce temps, le quai blinde ne bouge toujours pas son petit doigt. Ah si, on notera un mouvement de gens qui s'attroupent autour de l'action, un gars qui est ok pour venir m'aider en traduisant au garcon des trucs en hindi, et un autre gars qui fait des photos du petit squelette vivant avec son portable. Fute, celui-ci.

Bon bref, j'ai fait un nettoyage au mieux de ce que je pouvais faire, j'ai arrose de betadine, bidouille un pansement facon guerre 14-18, je lui ai coupe une mangue et donne une bouteille d'eau, lui ai repete 15 fois "Va dans un hopital" et puis voila. Le tout devant le public du Parc des Princes. A peu pres.

Ceci etant fait, je retourne m'asseoir. Puis me releve pour aller remercier le gars pour sa traduction anglais-hindi. Qui revient me voir ensuite pour me dire qu'il etait "very impressed" et me demander... un autographe ! La blague.

Voila, tel est le monde indien dans une de ses plus belles, enormes, hallucinantes contraditions.
Cette societe est en grande majorite hindouiste, un chouilla bouddhiste et un autre chouilla musulmane, sikh ou autre.
Elle ne jure que par la notion de "karma" ("karma" voulant dire "actions"), ce bilan des actions individuelles, cette pesee qui, si positive, te donneras une bonne reincarnation, et si mauvaise te feras de reincarner en je ne sais quel animal.
Et pourtant, pas un ne bouge devant une situation ou, pourtant, il y avait pas mal de points a glaner pour mettre dans son karma-panier.
Du coup c'est moi qui les ai eu, les karma-points.

Plusieurs hypotheses d'explications :
- la fameuse reincarnation et la notion de "destin" qui va avec, qui, subtilement retournee dans l'autre sens donne : "Ce petit squelette avec la main en lambeaux, la, bon, eh bien il a du bien le chercher dans sa vie anterieure. Mais oui, Martine. Il a du faire des trucs pas cool ! Voila pourquoi il lui arrive des crasses maintenant. C'est normal, c'est la roue du karma, faut pas aller contre." (?!?)
- l'autre parametre ce sont les castes. Tu es ne pauvre ? Eh bien tu seras pauvre, mon ami, c'est comme ca. Tu es d'une caste de bas d'echelle ? Eh bien tu vaudras toute ta vie moins que les autres, qui auront le droit de te traiter comme de la m*** et c'est comme ca.
- Et puis pour finir, il y a le fait qu'ils soient un bon petit milliard, et que (je l'ai constate dans le train, bon diou !), au dela d'une certaine densite, le mode "chacun pour sa pomme" se met en route et a partir de la, c'est le plus fort qui l'emporte. Mais ca ca doit etre valable partout, pas qu'en Inde.

L'Inde, c'est donc une societe tres coloree, c'est plein de traditions, de festivals, de folklore de tout ce qu'on veut, ca rend le tout tres "vivant", mais je ne sais pas si elle est tres humaine, cette societe.

La ou ca me met vraiment en rogne, c'est notamment de voir des jeunes de 20 ans (le jour precedent l'episode de la gare) qui vont a l'Universite, qui sont donc eduques au sens le plus noble du terme, qui te donnent du "Ce petit-la on peut rien pour lui, il est pauvre et d'une caste basse".
Je leur ai servi du "Mon ami, tu disais juste avant que l'Inde n'est pas developpee, mais, excuse moi, l'Inde elle est entre tes mains. Si tu dis que tu ne peux pas changer tel parametre, alors dis toi bien que tu peux etre sur d'une chose, c'est qu'il ne changera pas.", mais ca fait un peu peur d'entendre la jeune generation porter ces propos-la.

Bref. J'ai regagne une annee d'esperance de vie grace a ma bonne action et mes karma-points (apres celle perdue a Calcutta), mais le petit gamin, lui, a mon avis il ne va pas vivre longtemps.

C'etait l'episode "Medecin du Monde en situation d'urgence dans la region de l'Uttar Pradesh". Demain, une operation de l'appendicite sur un trottoir d'Amritsar (la ou je suis maintenant).
Ou alors peut-etre resterai-je dans le creneau de la description sociale avec un petit essai sur les relations adultes-enfants (education, j'entends) en Inde, parce que c'est pas mal non plus.

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