10 juin 2011

Journalisme nouvelle vague

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Plus le temps passe, plus le monde des médias se surpasse et l'incompréhension me dépasse.
L'angle d'attaque journalistique de certains m'impressionne jour après jour.
On délaisse l'information, matérielle, factuelle, vérifiable, et on glisse petit à petit dans le ressenti, l'état d'âme, l'émotionnel à deux sous.
Est-ce la nouvelle tendance auto-instaurée pour faire de l'audience ? Les journalistes reçoivent-ils des consignes ? Dans les deux cas le résultat est de toute façon mauvais en terme d'information, et cette orientation pose question.

Un exemple pour la route (le plus récent au milieu de beaucoup d'autres entendus ou vus ces dernières semaines) : la question qui ne sert à rien.
Ce soir, vendredi 10 juin.
Entretien télévisé sur une chaine de la TNT. Ségolène Royale face à deux journalistes.
Actu : elle revient de Charentes où elle a assisté à l'intervention de Nicolas Sarkozy auprès des éleveurs bovins de la région.
On jase sur un évènement que les médias se plaisent à relayer : elle n'avait pas été conviée à la visite (hou !), bien qu'il soit apparemment traditionnellement de bon ton d'inviter les élus locaux lors de tout déplacement présidentiel (oh !).
En complément, cerise sur le gâteau : N. S., pris de court et contraint par l'évidence d'une présence non anticipée, lui donne la parole pour quelques minutes, du bout des lèvres, à contre-coeur.

Le fait est là : le code veut qu'on convie les élus locaux à une visite présidentielle, et ce quelle que soit leur appartenance politique, mais dans ce cas précis ça n'a pas été fait. Soit.
Les journalistes le signalent, bien.
C'est fournir une information effectivement que de mettre le doigt sur cette originalité de l'organisation. Charge ensuite au téléspectateur de se faire son avis sur le relationnel entre les deux protagonistes.
Si on s'en était tenu là, on serait restés dans de l'information. Mais l'information aujourd'hui, ça ne doit plus payer. Il faut un emballage clinquant ou un exhausteur de goût, il faut entrer dans l'émotionnel, sinon...

Comme de bien entendu, les journalistes se précipitent donc dans la brèche : "Qu'avez-vous ressenti lorsque Nicolas Sarkozy vous a donné la parole ?". Et le collègue d'insister lourdement, presque solennel : "A cet instant très précis, Madame Royale, que s'est-il passé en vous ?"
Et ça, ça me met bigrement en colère. Ça c'est d'une médiocrité et d'un non-professionnalisme qui m'exaspère. C'est manger du temps d'antenne pour rien, ou en tout cas pour rien qui en vaille la peine. C'est être sur la tribune, avoir le micro et donc porter les responsabilités qui vont avec, mais ne pas être à la hauteur.
Car en quoi est-ce une information d'apprendre que Ségolène Royale a éprouvé tel ou tel sentiment ? Colère, joie, frustration, isolement, prise de court, que sais-je encore... On s'en fout !
Enfin, "on" ne s'en fout peut-être pas, chacun aura son avis, mais qu'on me montre en quoi ceci est un élément d'information utile pour sa culture politique, pour se forger ses idées, une opinion, pour se faire sa self-critique du monde politique ou autre.

Qu'on informe que N.S. n'ait pas convié S.R. soit, ça permet de faire passer une certaine idée du panier de crabe mesquin que semble être le monde politique.
Qu'on mette en lumière en conscience, qu'on aille volontairement chercher l'info selon laquelle S.R. a tremblé comme une feuille ou se soit fait pipi dessus de joie en obtenant le micro, c'est faire de l'audience avec de la m***. Ça n'est pas du journalisme, ça n'est pas informer, c'est proposer une question médiocre et surtout se tromper de registre.


Dans un genre un peu différent, il y a aussi l'approche biaisée.
Une question sur un thème qui pourrait être intéressant, mais dont la réponse est nécessairement limitée car le problème est mal posé.
Au cours de la même interview de S. R., alors qu'on aborde - évidemment - la thématique des scandales de moeurs du moment, DSK, Tron et le reste : "Madame Royale, est-ce à dire que la vie privée des hommes politiques doit être exemplaire ?".
Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'"être exemplaire" ? Ça ne veut rien dire !
Être exemplaire... exemplaire aux yeux de qui ? La notion d'exemplarité est absolument subjective. Ce qui est exemplaire pour Robert ne le sera sûrement pas pour Raymond, et inversement. C'est de l'ordre de l'idéal, du modèle, et nous avons tous des modèles différents.

Aborder le sujet en utilisant ce terme d'exemplarité, c'est présenter la question sous un angle incorrect : cela sous-entend qu'effectivement la question se pose de savoir où est la limite dans la conduite privée d'un personnage public, qu'on ne sait pas où trancher, que c'est de l'ordre de la morale et qu'on peut en débattre, qu'on ne sait pas quel est le bon modèle. On donne l'impression qu'il y a de la place pour l'interprétation personnelle, et d'ailleurs S. R. se retrouve inévitablement à émettre un avis : "Oui, effectivement, l'homme politique moderne et responsable est tenu à l'exemplarité, blablabla...".
Temps perdu. Stérile.

Les scandales de moeurs du moment ne sont pas du ressort du questionnement sur l'exemplarité, dans la sphère privée, des personnages par ailleurs publics, mais de l'ordre de la légalité, du pur Droit. On est là dans l'objectivité, la loi, et ça n'est pas du tout du même registre. Cela n'appelle aucun commentaire : la loi doit s'appliquer, qu'on soit un personnage public ou non, et que l'éventuel délit ou crime ait eu lieu dans un contexte public ou privé.

L'exemplarité... Tsss...
Mr Bidule, personnage public, divorce 4 fois.
Ça n'est peut-être pas exemplaire aux yeux de certains. Mais il fait bien ce qu'il veut, il n'y a pas là de délit ou de crime.
Mr Bidule, personnage public, commet un délit ou crime dans la sphère privée (ou publique d'ailleurs). C'est clair et net : la loi donne le cadre de ce qui est autorisé ou ne l'est pas, point final.


Allez, un petit effort les journalistes... Restons positifs et voyons le verre à moitié plein : mon constat n'est pas généralisable à tous, et la marge de progression est belle...

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